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Le féminicide : la présence dans l’absence par Janine Bonaggiunta

    Feminicide

    Issu de l’anglais feminicide, le féminicide désigne le meurtre ou l’assassinat d’une femme à raison de son sexe ; le critère majeur étant le mobile de l’auteur, à savoir la haine de la femme du fait de son sexe dont il faudra rapporter la preuve.

    « Alors elle s’était tue, avalant sa rage dans un stoïcisme muet, qu’elle garda jusqu’à sa mort. »

    Madame Bovary, Gustave Flaubert

    Dans un contexte de libération de la parole des femmes, de prise de conscience – toujours insuffisante – de l’opinion publique et politique, le terme féminicide n’est toujours pas reconnu par la loi française.

    À l’inverse de nombreuses législations étrangères d’Amérique latine (Mexique, Chili, Bolivie…), ce terme n’est pas repris dans le Code pénal français.

    FEMINICIDE, UNE DÉFINITION PLURIELLE

    Reconnu par les instances internationales L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère que le féminicide « est généralement commis par des hommes, mais il arrive parfois que des membres féminins de la famille soient impliqués ».

    L’OMS s’accorde à dire que le féminicide est protéiforme.

    En premier lieu, le féminicide est dit « intime », lorsqu’il renvoie au meurtre ou à l’assassinat, ou a minima la tentative, d’une femme par son conjoint, partenaire ou concubin.

    Le droit français le réprime par une circonstance aggravante, punissant ainsi le meurtre de la réclusion criminelle à perpétuité :

    « Le meurtre est puni de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’il est commis : […] 9° Par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité »

    L’article 132-23 du Code pénal prévoit qu’une période de sûreté de 22 ans peut être prononcée.

    Le féminicide intime est la forme la plus courante, en ce qu’elle renvoie plus largement aux faits de violences conjugales.

    En effet, le féminicide intime est, dans la grande majorité des cas, l’acmé des violences exercées au sein du couple en ce qu’il intervient alors que de nombreux signaux auraient dû alerter sur une situation dégradée (harcèlement, menaces, violences physiques et psychologiques…)

    Il faut savoir que de nombreuses infractions du Code pénal sont aggravées par la circonstance que l’auteur des faits est le conjoint, concubin ou partenaire de la victime :

    • Le détournement de correspondance (article 226-3) ;
    • La captation d’image sans le consentement et la géolocalisation en temps réel (article 226-1) ;
    • L’usurpation d’identité (article 226-1) ;
    • L’envoi réitéré de messages malveillants (article 222-16) ;
    • La violation du secret des correspondances (226-15).

    Dans ces hypothèses, l’aggravation doit alors être mise en lien avec l’article 132-80 du code pénal, lequel précise que la circonstance aggravante

    « est également constituée lorsque les faits sont commis par l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. Les dispositions du présent alinéa sont applicables dès lors que l’infraction est commise en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime. »

    (Crim. 23 avr. 2013, n° 12-85.075)

    L’association Nous toutes faisait état de 113 féminicides intimes en 2021.

    En deuxième lieu, le féminicide est dit « non intime », lorsqu’il correspond au meurtre ou à l’assassinat, ou a minima la tentative, d’une femme par une personne à laquelle elle n’est pas liée.

    Le féminicide non intime suit souvent des violences sexuelles (viol, agressions sexuelles) et est souvent le fruit du hasard.

    En troisième lieu, le féminicide est dit « d’honneur », lorsqu’il vise le meurtre d’une femme par un membre de sa famille parce « qu’elle a ou est censée avoir commis une transgression sexuelle ou comportementale, notamment un adultère, des relations sexuelles ou une grossesse hors mariage » [1].

    Le féminicide d’honneur vise à protéger la réputation et l’honneur d’une famille ou d’une communauté. Il est notamment présent dans les régions reculées d’Asie du Sud.

    UNE NÉCESSAIRE PROTECTION

    Afin de protéger les personnes en danger et les enfants s’il y a, plusieurs mécanismes ont été implantés dans le système judiciaire afin de prévenir en amont les violences.

    Le féminicide recèle des signes avant-coureurs.

    C’est l’objet de la nouvelle grille d’évaluation du danger utilisée par les forces de l’ordre pour discerner le niveau de danger par différents signaux d’alerte auxquels doit répondre la plaignante. 

    Par ailleurs, la loi du 30 juillet 2020, visant à protéger les victimes de violences conjugales, est également venue ajouter des dispositions de préventions des féminicides.

    Elle prévoit la possibilité de porter les violences à la connaissance du Procureur de la République, par l’article 40 du Code de procédure pénale, lorsqu’il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale.

    À cet égard, le médecin doit s’efforcer d’obtenir le consentement de la victime majeure mais le signalement peut être fait même si le professionnel ne parvient pas à l’obtenir.

    La protection des personnes mineurs autorise depuis longtemps le médecin à s’affranchir du secret si la personne n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité. 



    En tout état de cause, l’avocat interviendra pour représenter, comme en matière de viol, la victime d’une tentative de féminicide.

    Il interviendra également pour la famille et les proches de la victime pourront également être représentés dans la mesure où ils sont considérés comme des victimes indirectes de l’infraction pénale.

    En effet, le féminicide, tout comme les violences conjugales, a un impact substantiel en ce qu’il touche également la sphère familiale.

    Tout aussi atteints, les enfants mais aussi les proches sont également reconnus victime.

    À titre d’exemple, c’est en ce sens que la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes reconnaît que le fait qu’un enfant assiste aux violences au sein du couple constitue une circonstance aggravante (article 222-13 du Code pénal).

    Aussi, le décret n° 2021-1516 du 23 novembre 2021 tendant à renforcer l’effectivité des droits des personnes victimes d’infractions commises au sein du couple ou de la famille enjoint le Procureur de la République à veiller à ce que « le mineur puisse se constituer partie civile lors des poursuites, le cas échéant en étant représenté par un administrateur ad hoc. »

    Demeure donc l’espérance d’une reconnaissance juridique du féminicide en tant qu’infraction autonome, ce qui serait montre, au moins symboliquement, d’une véritable prise de conscience.


    [1] Organisation Mondiale de la Santé, « Comprendre et lutter contre les violences faites aux femmes », 2012

    01 80 49 34 30